2010 Décembre

Destruction à tous les niveaux: cheminer avec le cancer

de Declan Hammond

Cheminer avec des patients atteints par le cancer est sans doute la partie la plus difficile mais aussi la plus enrichissante de mon travail. Difficile, car elle nous confronte à toutes les questions et à tous les tabous que nous passons notre vie à éviter – mort, défigurement, perte, aliénation. Enrichissante, car elle nous invite à embrasser notre part d’ombre, à pénétrer notre enfer personnel pour ensuite retourner à nos vies, plus vivants, plus entiers et plus conscients de notre place dans le monde.

Le cas suivant est un de ces cheminements que j’ai eu le privilège de partager avec une de mes patientes.

L. est une femme de 34 ans dont le col de l’utérus a été détruit par le cancer. Elle présente des douleurs utérines perçantes, lancinantes et déchirantes. Depuis l’adolescence, elle souffre de douleurs de règles insupportables la forçant à s’aliter jusqu’à 10-15 jours par mois, et d’herpès génital. A 16 ans, elle a eu des verrues génitales qui ont été « brulées ». Elle a tendance à souffrir de migraines épouvantables et sa peau est sèche, écaillée et irritée. Elle a eu de nombreuses vaccinations auxquelles elle n’a pas bien réagi.

Elle est maigre et nerveuse; tremblante, tournant comme un animal en cage. Son histoire personnelle est extrêmement lourde: à la maison, elle eut à protéger sa mère et ses sœurs d’un père alcoolique qui ne pouvait contrôler sa violence et abusait d’elles physiquement et sexuellement. Elle devint une protectrice pour tous, même pour ceux qui la battaient et la violaient, comme son compagnon qui était aussi alcoolique.

Son compagnon fut plus tard assassiné. Elle fut publiquement accusée de son meurtre et raconta son expérience comme « ayant été traitée comme un chien et mise en pièces » par la police et la presse à sensation. Durant tout ce temps, elle était terrorisée car elle savait que le vrai meurtrier était toujours dans la nature.

Les services sociaux lui retirèrent son fils de huit ans qui fut placé. Ses rêves étaient emplis de viols, de couteaux, de violence; elle rêvait aussi qu’elle était juive, dans un camp de concentration. « J’imagine toujours le pire. » Cette destruction à tous les niveaux, familial et personnel, ainsi que les nombreuses morts autour d’elle, conduisit à une prescription de Syphilinum 10M.

Deux semaines plus tard, elle était capable d’être seule sans s’effondrer. Elle arrêta de se sentir « à l’extérieur d’elle-même », un sentiment souvent rencontré dans les situations nécessitant un remède agissant profondément comme Syphilinum. « Avant, je faisais tout pour que les autres soient gentils avec moi et ne me fassent pas de mal, plus maintenant. »

J’ai remarqué que les patients atteints de cancer sont souvent des personnes «  gentilles », sensibles, qui répriment leur rage et leur individualité. Ce n’est qu’après avoir laissé leurs émotions enfouies remonter à la surface, exprimé leur rage et leur douleur qu’il leur devient possible de se libérer de leur passé et de guérir; rechercher le pardon avant cela n’est souvent qu’une répression supplémentaire de ces émotions.

L. continua avec Syphilinum pendant trois mois, en dosages LM ascendants de LM1 à LM3. Au terme de ces trois mois elle commenta: « Maintenant, je sais qu’un futur est possible; avant ça, tout ce que je pouvais imaginer était une mort horrible et douloureuse. »

Lorsque je chemine avec un patient atteint de cancer, j’organise des rendez-vous fréquents, parfois jusqu’à deux par semaine, ou autant que nécessaire. A chaque session, je demande: « De quoi avez-vous besoin, en ce moment? » Le chemin est rarement droit, problèmes anciens et nouveaux surgissent et ils ont besoin d’être abordés au fur à mesure qu’ils remontent à la surface; changements de remèdes, de dosages et interventions thérapeutiques peuvent être nécessaires pour  demeurer dans une vraie démarche homéopathique.

Au cours de ces trois mois, je vis L. toutes les semaines et elle s’exprima longuement sur les souffrances qu’elle avait endurées. A la fin de cette période, elle «écumait littéralement de rage» sur ce qui lui était arrivé. Le remède suivant, Staphysagria 10M, puis 50M, puis CM l’entraîna plus avant dans son voyage intérieur.

Pendant le traitement, elle était sujette à des épisodes de type grippal pour lesquels elle reçut Nux vomica 6CH et Sulphur 6CH, en alternance. Elle ressentait ces épisodes comme des « purges » pour tout l’alcool et la  « bouffe » qu’elle avait ingurgités pour anesthésier ses émotions; les remèdes fonctionnèrent comme détoxication.

Petit à petit, elle ressentit son chagrin, parfois d’une manière très intense, s’écroulant en pleurs et sanglotant hystériquement, perdant tout contrôle. A ce moment là, je prescrivis Ignatia 10M ce qui l’aidait énormément mais seulement pour quelques heures. Je le prescrivis à nouveau en liquide, secoué et pris selon les besoins; cinq fois par jour, au début, puis s’espaçant jusqu’à une seule dose par semaine.

Deux mois d’Ignatia 10M l’amenèrent à regagner son pouvoir personnel et à se sentir assez forte pour demander de l’aide. Elle commença à créer un réseau de soutien autour d’elle, reprit contact avec d’anciens amis et s’éloigna de ceux qu’elle jugeait « toxiques ». Elle s’impliqua beaucoup plus dans son traitement, devenant plus sûre d’elle-même, demandant ce dont elle avait besoin et décidant du rythme de nos rendez-vous.

Une cellule cancéreuse a perdu son sens du « soi » et son vrai rôle dans le corps. Similairement, les patients atteints de cancer ont perdu le sens de leur «soi », leur vie non-vécue, perdus dans leur préoccupation pour les autres, ou oppressés/réprimés par les défis présents dans leur vie. Devenir plus confiant et prendre soin de soi-même est une étape cruciale sur le chemin de la guérison. 

Après six mois de traitement, les douleurs menstruelles de L. s’étaient améliorées mais lui posaient toujours problème. L’augmentation de dosages de Folliculinum de LM1 à LM4 apporta une amélioration « pour la première fois de ma vie ». Durant cette période, elle explora la possibilité de trouver une direction dans sa vie, parlant de « raison d’être » et de « se trouver ».

Après neuf mois de traitement, L. fut examinée par sa gynécologue qui, à sa grande surprise, découvrit un col de l’utérus sain: aucune trace de cancer.

Je la vis à plusieurs reprises au cours des trois années suivantes. Elle s’inscrivit dans un stage de formation, fit une rencontre amoureuse – sa première relation saine – trouva un travail satisfaisant et reconquit son « amour propre ». Durant ces trois années, elle reçut Tabernanthe iboga en dosages ascendants de LM1 à LM6; une dose de Syphilinum 50M lorsqu’elle « perdit la boussole » quand des souvenirs profonds d’abus familiaux remontèrent à la surface; des dosages ascendants de Carcinosin, 200, 1M, 10M, sur une période de six mois, lorsque culpabilité et accusations contre elle-même à propos de son enfance vinrent troubler sa guérison. J’ai observé que Carcinosin, dans une de ces nombreuses formes, est presque toujours nécessaire à un moment ou à un autre dans le traitement du cancer. Les symptômes de L. disparurent, elle trouva une certaine paix intérieure et s’exprima souvent sur les thèmes « mort et naissance », « renouvellement », « raison d’être » et « rapprochement avec la famille et les ancêtres ».

En tant qu’homéopathe, j’ai remarqué depuis un certain temps que j’attire, dans le champ énergétique de ma vie professionnelle ou privée, des patients qui remettent en question mes idées sur ce qui est possible et sur ce qui ne l’est pas; qui m’apprennent à aller au-delà de moi-même. J’ai appris à être conscient de mes propres pensées, croyances, langage et énergie, car tout au long de ces années, j’ai réalisé que tout cela affecte mes patients autant que les remèdes que je leur prescris.

Le cheminement de L, si différent du mien, a défié ma crédulité, m’a choqué avec sa violence, m’a poussé à risquer de nouvelles prescriptions, m’a montré que pour être vraiment « homéopathique » dans mon suivi, je devais être prêt à prescrire tout remède à tout moment, dans différentes séquences et différents dosages. L. m’a profondément inspiré par son courage, sa créativité et sa volonté à transcender sa tragique histoire, et à accueillir la guérison dans sa vie, me rappelant continuellement les mots de Ben Gurion: « Celui qui ne croit pas aux miracles, n’est pas un réaliste. »   

 

 

Catégories:
Mots clés: cancer utérin, violence, abus physique et sexuel, camp de concentration, gentillesse, périodes douloureuses
Remèdes: Carcinosinum, Folliculinum, Ignatia, Nux vomica, Staphysagria, Sulphur, Syphilinum, Tabernanthe iboga

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